Le prix Nobel de littérature octroyé à Annie Ernaux me donne envie de vous parler un peu du lien entre la sociologie et la psychothérapie. Annie Ernaux, issue d’un milieu social modeste témoigne notamment dans son œuvre de la complexité à sortir de sa classe sociale, même par le haut.
Un auteur a beaucoup développé cette question, c’est Vincent de Gaulejac et je ne peux que vous inviter à le lire (« La névrose de classe » de V de Gaulejac, « La part de social en nous, sociologie clinique et psychothérapie » sous la direction de V de Gaulejac et C Coquelle ) car il a étudié ce lien entre sociologie et psychothérapie, c’est-à-dire les liens entre l’être humain et la société dans laquelle il vit. S’agissant de la question de classe il a parfaitement montré comment la honte, la culpabilité, la peur… viennent s’infiltrer en nous dès notre enfance quand nous souhaitons, ou sommes poussés, à sortir de notre classe sociale modeste et vécue comme inférieure, invalidée par les autres.
Ainsi Vincent de Gaulejac va parler « de « névrose de classe » pour décrire le tableau clinique qui caractérise les conflits psychologiques vécus par des individus qui changent de position dans la structure de classe ». Il dit ainsi que les questions de libido ne sont pas les seules à créer du conflit psychique en nous.
Fritz Perls, fondateur de la gestalt-thérapie, parlait de « loyautés désastreuses » pour décrire ces visions de nous-même et des autres issues de nos expériences vécues. Notre milieu social est pour beaucoup dans la création de ces loyautés désastreuses et vous avez peut-être des exemples autour de vous. Ainsi une personne va se sentir « inférieure » et verra les autres comme plus « brillants, intelligents… ».
Annie Ernaux le dit bien sûr bien mieux que moi quand elle écrit dans son journal : « j’écrirai pour venger ma race ». Dans L’écriture comme un couteau elle explique cette phrase : « je voulais dire la classe sociale dont le suis issue. J’avais écrit « race » sans doute à cause du cri de Rimbaud : « Je suis de race inférieure de toute éternité » aussi parce que le terme race marquait plus fortement que « classe » mon appartenance au monde dominé »
(Le monde du 7 octobre 2022)
Je pourrais illustrer mon propos en vous parlant d’une cliente issue d’un milieu très modeste, d’origine paysanne par son père, ouvrière par sa mère et qui pourtant, ayant trouvé dans l’école un lieu de plaisir et d’épanouissement, avait réussi à devenir professeur. Mais malgré cette apparente réussite, cette cliente était pétrie de honte et d’un sentiment de déloyauté par rapport à sa famille d’origine. Elle était prise dans une exigence paradoxale, celle d’un côté d’honorer ses parents avec la culpabilité de ne pas les aimer assez et la peur de ne pas être à la hauteur de leur attente.
Le déclassement social n’est bien sûr pas plus facile et la honte est encore présente. En comprenant l’importance de ces facteurs sociologiques nous nous donnons ainsi la possibilité de mieux comprendre et accompagner nos clients au cœur de leur expérience. De nombreux thèmes de la sociologie sont au cœur de nos accompagnements en gestalt-thérapie, citons aussi par exemple toutes les questions liées au genre, au féminisme, à la procréation médicalement assistées… la liste est longue, n’hésitez pas à regarder les thèmes qui vous concernent le plus.
Isabelle Soulat
Directrice de l’ILFG